Résister en Bretagne

Les combattants volontaires de la Résistance des Côtes-du-Nord

En librairie en avril, ce nouveau livre consacré à une étude de la Résistance à partir de l’étude de 1 200 dossiers de femmes et d’hommes ayant obtenu la carte de combattant volontaire de la Résistance dans des réseaux, des mouvements. Une étude réalisée dans le cadre de l’atelier histoire et patrimoine de l’Université du temps libre de Saint-Brieuc.

Publié chez Skol Vreizh (Morlaix) – 20 euros

Préface de M. Yann Lagadec, professeur d’histoire (Rennes 2 – Académie militaire de Saint-Cyr-Coetquidan)

La préface de M. Yann Lagadec

Résister en Bretagne

Les combattants volontaires de la Résistance

L’ouvrage dont vous entamez la lecture est un livre à part dans l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale dans les Côtes-du-Nord.

Bien évidemment, nul ne prétendra qu’il s’agit du premier livre sur la Résistance costarmoricaine, encore moins sur la Résistance bretonne. Les Côtes-du-Nord – les spécialistes le savent – ont pu en effet bénéficier, de manière d’ailleurs ancienne, de solides recherches sur le sujet. L’une des premières études est celle de Jean Ancelin : dès 1946, cet étudiant en histoire avait consacré son mémoire de fin d’études à une première – mais rapide et incomplète – Histoire de la Résistance dans le département des Côtes-du-Nord1. Depuis, les travaux, parfois inégaux, se sont multipliés. La thèse de Christian Bougeard, sur Le choc de la guerre dans un département breton, incontournable monument de papier, fait bien évidemment une large place à la Résistance : elle en présente les grandes phases, des premières formes d’action à l’été 1940 à l’engagement armé dans les combats de la Libération à l’été 1944, les grands courants, la lente et parfois difficile structuration2. On doit aussi à Roger Huguen, infatigable correspondant dans les Côtes-du-Nord du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs ouvrages, dont celui consacré aux filières d’évasion en Bretagne qui fait une large place au département, plus particulièrement au fameux réseau Shelburn3. Alain Lozac’h lui-même, l’une des chevilles-ouvrières de la présente étude, a déjà publié en 2003 un ouvrage consacré à quelques grandes figures des Réseaux et mouvements de résistance en Côtes-d’Armor4. Et des Cahiers de la Résistance populaire aux monographies, à l’instar de celle que j’ai moi-même commis sur la région de Loudéac, le lecteur intéressé par cette période à de quoi faire, y compris sur des aspects inattendus, tels que les bals comme forme de résistance à l’Occupant et au régime de Vichy5. Et ce, d’autant qu’aux recherches historiques, il convient d’ajouter les mémoires et souvenirs d’un certain nombre d’anciens résistants, de tous bords politiques, parfois de premier plan : ainsi de Louis Pichouron – le commandant Alain, responsable départemental des FTP –, de Désiré Camus, de Jean Dathanat ou de René Billaud – le commandant Gilles, en charge du secteur de Lamballe – pour n’en rester qu’à quelques exemples6

Il n’en reste pas moins, disais-je, que cet ouvrage est un livre à part. Il est en effet le premier à proposer pour les Côtes-du-Nord une véritable sociologie du milieu résistant dans toute sa diversité, grâce à l’étude des dossiers de combattants volontaires de la Résistance (CVR). Une telle étude manquait encore pour le département, même si d’autres avaient été menées ailleurs, y compris en Bretagne : la thèse de Jacqueline Sainclivier sur l’Ille-et-Vilaine avait en effet marqué une étape importante dans l’historiographie du sujet, que ce soit d’ailleurs à l’échelle bretonne ou à celle, plus large, de la France7. Soutenu en 1978, ce travail pionnier était l’un des tout premiers à se pencher sur ces riches dossiers, 1 329 au total, presque autant donc que ceux analysés par la petite équipe de chercheurs « amateurs » – mais éclairés et passionnés – de l’UTL de Saint-Brieuc8. Depuis, un certain nombre d’autres recherches ont été conduites, dans toute la France, à partir de ces dossiers de CVR : elles restent peu nombreuses cependant, seuls une douzaine de départements ayant été étudiés, pour l’essentiel dans la moitié sud du pays, celle correspondant à l’ancienne « zone libre » – ainsi des Alpes-Maritimes, du Var, du Gard, du Vaucluse ou des Bouches-du-Rhône, mais aussi de l’Isère, de la Loire et du Puy-de-Dôme, ou encore du Finistère, du Calvados et de la Manche9. C’est dire l’intérêt d’une telle étude dans un département aussi marqué par la Résistance mais aussi par la présence allemande, quatre années durant, que le sont les Côtes-du-Nord, dont on peut noter, d’ailleurs, que l’on connaissait finalement presque mieux jusqu’ici les collaborateurs – ou, plus exactement, les suspects de collaboration – que les résistants, grâce aux recherches de François Lambert10.

Certes, cette source que constituent les dossiers de combattants volontaires de la Résistance n’est pas sans présenter un certain nombre de biais sur lesquels tous les auteurs, y compris ceux du présent ouvrage, insistent à juste titre11. En effet, nombre de ces dossiers n’ont souvent été constitués que tardivement, parfois bien après la loi du 25 mars 1949 qui fonde juridiquement le statut de CVR. La demande formulée par ceux qui y prétendent implique de réunir des témoignages d’autres résistants reconnus, alors même que certains groupes ou réseaux ont été décimés par la répression entre 1940 et 1944. Il faut aussi et surtout pouvoir justifier d’une activité dans la Résistance au moins trois mois avant le débarquement du 6 juin, alors même que l’essentiel des combattants FFI/FTP ont été recrutés au cours du printemps voire au début de l’été 1944. Et c’est d’ailleurs au cours de cette période qui va du printemps à l’automne 1944 que la répression allemande – mais aussi celle conduite par les jusqu’au-boutistes de la collaboration – est la plus sévère, la plus expéditive : les risques encourus par les engagés « tardifs » ne sont donc pas moindre, loin s’en faut, même s’ils ne peuvent prétendre qu’au statut de « combattant au titre de la Résistance », bien moins avantageux12. Ainsi, dans le Calvados et la Manche, où 1 336 résistants ont pu bénéficier du titre de CVR, Michel Boivin et Jean Quellien ont pu identifier 1 350 autres résistants qui n’étaient pas en capacité de le faire : leurs conclusions sont intéressantes en ce qu’elles montrent que si les deux corpus ont des profils assez identiques, tant du point de vue de l’âge, du sexe que des origines socio-professionnelles, certains groupes sont cependant sous-représentés dans le premier, et notamment celui, si important en Basse-Normandie comme en Bretagne, des paysans, très actifs dans ce que les deux chercheurs qualifient de péri- ou infra-résistance13. Sans doute en est-il de même dans les Côtes-du-Nord. Dans le Var, Jean-Marie Guillon avait pu montrer, quant à lui, que les dossiers de CVR tendaient à mettre en avant les membres d’une résistance structurée, organisée, plus particulièrement tournée vers l’action « militaire », au détriment d’autres formes de résistance, plus « politiques », plus modestes aussi, à l’instar de l’aide matérielle apportée aux résistants, tout aussi importantes donc mais moins spectaculaires14.

Bien conscients des limites mais aussi et surtout de l’intérêt majeur de cette source, pourtant irremplaçable, car unique ou presque, que sont les dossiers de CVR, les auteurs de la présente étude nous proposent un portrait de groupe inédit de la Résistance dans les Côtes-du-Nord. Au fil des pages, on découvre ainsi une géographie résistante qui n’est pas forcément tout à fait celle à laquelle on s’attendait – et qui n’est d’ailleurs pas très différente de celle de la collaboration telle qu’elle apparaît au moment de l’épuration15. C’est aussi une Résistance socialement diverse qui nous est donnée à voir. Hommes et femmes s’y côtoient, y agissent de concert, même si c’est souvent avec des fonctions très différentes. Si les jeunes sont bien présents, les plus âgés – et notamment les anciens combattants, que l’on aurait tendance à classer trop rapidement parmi les soutiens inconditionnels du maréchal Pétain – sont eux aussi actifs. Ce travail méticuleux permet enfin de saisir une sociologie pour une part inattendue de la Résistance dans les Côtes-du-Nord, révélant la sur-représentation de certaines catégories socio-professionnelles : anciens militaires, policiers et gendarmes, mais aussi enseignants, ecclésiastiques ou encore membres des professions libérales. Surtout, les auteurs ont eu l’excellente idée d’« incarner » ces données chiffrées, en traçant le portrait de nombre de ces figures de la Résistance, responsables de réseau ou de mouvement comme résistants ou résistantes « ordinaires » : le lecteur croisera ainsi au fil des pages qui suivent aussi bien la – trop – méconnue Emilie Bertin, arrêtée dès 1940, internée en Allemagne, libérée et revenue en France au printemps 1944, que le fameux « Jojo » Ollitrault, à l’extraordinaire parcours ; on en saura plus aussi sur le lycéen Yves Salaün, fusillé au Mont-Valérien en février 1944 comme sur Marie Le Naour, commerçante à Duault, arrêtée le 9 juin 1944, qui échappe à la déportation en s’évadant, sur Charles Bescont, responsable de Libération-Nord, comme sur Louis Pichouron, commandant FTP.

On le voit : par son caractère pour une part inédit, par la diversité des thèmes abordés, par le souci d’associer parcours collectifs et destins individuels, cet ouvrage marquera une étape importante dans notre connaissance de la Résistance dans les Côtes d’Armor mais aussi en Bretagne et, au-delà, dans l’Ouest de la France.

Yann Lagadec

maître de conférences en histoire

Académie militaire de Saint-Cyr/Coëtquidan

CREC/TEMPORA

1Ancelin Jean, Histoire de la Résistance dans le département des Côtes-du-Nord, Université de Rennes, DES d’histoire, dact., 1946.

2Bougeard Christian, Le choc de la guerre dans un département breton : les Côtes-du-Nord des années 1920 aux années 1950, Université Rennes 2, thèse de doctorat d’Etat, dact., 1986.

3Huguen Roger, Par les nuits les plus longues. Réseaux d’évasion d’aviateurs en Bretagne, 1940-1944, Saint-Brieuc, Les Presses bretonnes, 1976.

4Lozac’h Alain, Visages de la résistance bretonne. Réseaux et mouvements de résistance en Côtes-d’Armor, Spézet, Coop Breizh, 2013 [1ère éd. 2003].

6Pichouron Louis, Mémoires d’un partisan breton, sl, Chez l’Auteur, 1970 ; Camus Désiré, On les appelait terroristes- La vie au quotidien d’un maquisard breton, Morlaix, Skol Vreizh, 1994 ; Dathanat Jean, Français ? Peut-être. Histoire d’un maquis breton, sl, J. Dathanat, 1946 ; Billaud Marguerite-Marie et Billaud René, Occupation et Résistance en Bretagne, 1940-1945. Les mémoires du commandant Gilles. La vie ardente et secrète de l’époque, Mayenne, Editions régionales de l’Ouest, 1985.

7Sainclivier Jacqueline, La Résistance en Ille– et-Vilaine, 1940-1944, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1993.

5Les Cahiers de la Résistance populaire ; Lagadec Yann, Un canton dans la tourmente. Loudéac et les communes environnantes pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Loudéac, Mémoire du pays de Loudéac, 1994 ; Quillevere Alain, Les bals clandestins pendant la Seconde Guerre mondiale dans les Côtes-du-Nord, Morlaix, Skol Vreizh, 2014.

8Dans sa récente – et volumineuse – thèse, Andréo Marilyne, Sociologie de la Résistance dans le Gard, le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône, Université Paul Valéry-Montpellier III, thèse d’histoire, dact., 2018, a étudié quelque 2 000 dossiers de CVR à l’échelle de ces trois départements.

9Ce sont les études de Panicacci Jean-Louis, « Sociologie de la Résistance dans les Alpes-Maritimes », Provence historique, n°178, oct.-déc. 1994, p. 477-488, Girard Joseph, La Résistance dans les Alpes-Maritimes, Université de Nice, thèse de 3e cycle, dact., 1973, Masson Victor, La Résistance dans le Var 1940-1944, Hyères, Association des MUR et des maquis du Var, 1983, Andréo Marilyne, Sociologie de la Résistance…, op. cit., Gabert Michèle, Entrés en Résistance. Isère, des hommes et des femmes dans la Résistance, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2000, Luirard Monique, La région stéphanoise dans la guerre et dans la paix (1936-1951), Saint-Etienne, Centre d’études foréziennes, 1980, Mathieu Eric, « Sociologie de la Résistance dans le Puy-de-Dôme », inGueslin André (dir.), De Vichy au Mont-Mouchet, l’Auvergne en guerre 1939-1945, Clermont-Ferrand, Institut d’études du Massif central, 1991, p. 121-146, Boivin Michel, La Résistance dans la Manche 1940-1945 : histoire et sociologie, Marigny, Editions Eurocibles, 2013, Boivin Michel et Quellien Jean, « La Résistance en Basse Normandie : définition et sociologie », in Bougeard Christian et Sainclivier Jacqueline (dir.), La Résistance et les Français : enjeux stratégiques et environnement social, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1995, p. 163-173 et Legrand, Nicolas, Etude sociologique et géographique de la Résistance dans le Finistère, 1940-1945, Université de Bretagne occidentale, mémoire de master, dact., 2010.

10Lambert, François, Entre individus inquiétés et individus sanctionnés : un fichier de suspects dans les Côtes-du-Nord à la Libération, août 1944-décembre 1945, Université Rennes 2, Mémoire de maîtrise d’histoire, dact., 2004.

11Certains chercheurs ont d’ailleurs préféré aux dossiers de CVR d’autres documents, à l’instar de J.-M. Guillon dans le Var ou M. Vigreux en Bourgogne, qui s’appuient, pour le premier, sur le fichier constitué par l’ANACR, association d’anciens résistants, pour le second sur les registres d’incorporation ou de liquidation des maquis. Marcot François, « Pour une sociologie de la Résistance : intentionnalité et fonctionnalité », Le Mouvement social, n° 180, 1997, p. 22, rappelle, non sans raison, que la demande de la carte de CVR est aussi un « phénomène culturel et social », dont le sens n’est sans doute pas le même que pour les anciens combattants de la Grande Guerre quelques années auparavant, non plus que pour ceux des conflits de décolonisation.

12Barcellini Serge, « La Résistance française à travers le prisme de la carte CVR » inDouzou Laurent, Frank Robert, Peschanski Denis et Veillon Dominique (dir.), La Résistance et les Français. Villes, centres et logiques de décision, Paris, Centre national de la recherche scientifique, 1996, p. 151-181 et Barcellini Serge, « Les Résistants dans l’œil de l’administration ou l’histoire du statut de combattant volontaire de la Résistance », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 178, 1995, p. 141-165.

13Boivin Michel et Quellien Jean, « La Résistance en Basse Normandie… », art. cit.

14Guillon Jean-Marie, La Résistance dans le Var. Essai d’histoire politique, Université d’Aix-Marseille I, thèse de doctorat d’Etat, dact. 1989.

15Lambert, François, Entre individus inquiétés et individus sanctionnés…, op. cit. 

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